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Valérie Lessard — Jeudi, 1er décembre 2022
5 questions à Chloé Sainte-Marie pour son projet Maudit silence
«Maudit silence» relève d'une quête identitaire que Chloé Sainte-Marie a entreprise avec l’écrivain et géographe Jean Morisset.
PHOTO : RADIO-CANADA / IMAGES : CAMILLE GLADU-DROUIN, PROJET CARAVELLE / LES ÉDITIONS DE L'HEXAGONE
Maudit silence relève de la quête identitaire. Une quête que Chloé Sainte-Marie a entreprise avec l’écrivain et géographe Jean Morisset et à laquelle sa complice des 40 dernières années, la poète innue Joséphine Bacon, a accepté de donner le titre.
Pour les besoins de ce nouveau projet, se déclinant aujourd’hui en livre-album et en spectacle qui sera présenté salle Jean-Despréz le 1er décembre, Chloé Sainte-Marie s’est rendue jusqu’en Patagonie, en passant par Haïti. Elle est allée à la rencontre d’hommes et de femmes portant les accents et la parole de leur territoire.
En compagnie de Jean Morisset et de Joséphine Bacon, l’interprète souhaitait ainsi poursuivre et élargir sa réflexion sur la notion de métissage. Car si elle chantait déjà en français et en innu, Chloé Sainte-Marie voulait aussi faire entendre toutes ces autres langues, du maya au guarani en passant par le créole, témoignant de l’histoire des trois Amériques, d’hier à aujourd’hui.
Ce projet représente comme une levée de fond de la mémoire. C’est-à-dire de retrouver mon histoire, que je ne connaissais pas, qu’on ne m’a pas enseignée quand j’étais enfant. Retrouver mes frères autochtones [...]. Donc, il représente une marche, au fond, une marche qui me donne exactement ce que j’aurais aimé avoir, disons, quand j’étais enfant: apprendre qui est mon peuple, qui je suis. [Pour ce qui est de Kondiaronk] il est venu faire la Grande Paix à Montréal, ce n’est pas banal! Il est mort ici, il est enterré à Pointe-à-Callières et, au fond, je ne connaissais pas ce personnage. Il n’y a rien qui nous le rappelle. Il n’y a rien qui honore sa mémoire. Jean [Morisset] le connaissait très bien. Et on est partis de lui, en 1701, pour remonter toute la colonisation, avant, après, tout le métissage, Louis Riel... C’est un album qui nous donne une autre vision de notre histoire.
J’ai voulu faire une synthèse. Je suis partie de Joséphine Bacon, ensuite Miron, Gilles Carle, Desbiens, Gauvreau. Tous ces poètes métis, au fond, et je sentais le besoin de retrouver ce territoire que je connaissais à peine, dont je dirais que j’avais été coupée. Au fond, j’ai coupé le cordon ombilical avec la France! Moi, j’ai vécu sept ans à Paris, j’ai fait des films là-bas, j’ai joué au théâtre beaucoup, à Avignon, à Paris, et j’ai fait de la chanson, aussi, quand j’ai commencé à chanter. Mais jamais j’ai eu conscience que mes frères brésiliens, haïtiens, chiliens, argentins, étaient mes frères. Et c’est ce pas-là que j’ai voulu faire, et essayer de reprendre un peu une nouvelle direction et de cesser de croire que la mère-patrie est celle qui va nous sauver sur le plan mental, intellectuel, littéraire, poétique. [...] Octavio Paz, et tous ces grands poètes, Pablo Neruda, on les apprend très peu. [...] Je voulais qu’on entende Fiorella Boucher en guarani, Wara en qwechua, tous les artistes autochtones du Chili, du Pérou qu’on entend en maya aussi, Mateo Pablo. On n’aurait pas eu ça si on n’était pas allés sur le territoire. [...] On a pris un poème que Jean Morisset a écrit, qui s’appelle Appel à la réincarnation des Amériques, et c’est ce poème-là qu’on leur a donné, tous le même poème. Ils ont choisi les strophes qu’ils voulaient, ils les ont traduites et après, ils les ont enregistrées.
Quand on se dit blanc, on fausse la donnée. On est métis, on nie notre métissage, mais [...] on a en nous du sang blanc, soit-disant, et du sang rouge. [...] À mon sens, une langue qui n’est pas parlée meurt. James Noël, ce grand poète [haïtien], quand je lui ai demandé des textes, il m’a dit oui, mais j’ai dit : Je veux les chanter en créole haïtien, ta langue! [...] Alors, il n’y a pas d’appropriation. Il y a un beau mélange de paroles, de langues, de sonorités. C’est des sonorités, au fond, gustatives qu’on donne aux gens à entendre. [...] On a voulu, Jean Morisset et moi, et Joséphine Bacon et James Noël, communiquer cette nécessité de chanter les langues pour ne pas qu’elles meurent. Alors, on a un devoir de se les approprier pour les passer à nos enfants, à nos petits-enfants, à nos frères. C’est vraiment ça que moi, en faisant Maudit silence, j’ai voulu transmettre. [...] Tu sais, j’ai chanté Gauvreau, qui a créé un nouveau langage, mais quand tu crées un nouveau langage, c’est parce que tu es en train de perdre ta langue. Tu imagines, une langue qui disparaît, la tragédie!
Le créole haïtien, c’est la même chose que le français. Si on fait attention, c’est les mêmes mots, c’est la même musique, c’est une façon différente de l’écrire, mais quand tu l’entends, tu comprends tout! [...] Les langues latines, c’est facile. [...] J’ai quand même pris des coachs. J’ai travaillé avec Flavia Nascimento pour le portugais. [...] Ça me permet des rencontres, et ça crée des amitiés avec des chanteurs, avec des interprètes. Tout le groupe Rara Soley, qui chante sur l’album [...] les quatre poèmes haïtiens avec moi : ils ont été extraordinaires. [...] C’est en chantant ces langues-là que je les ai rencontrés. Je ne les aurais jamais connus autrement. Et eux, ils chantent en français, ils chantent mes chansons. On se passe nos sonorités pour s’enrichir.
Il signifie tellement d’horreurs, tellement d’horreurs et tellement de beauté, parce que la plus belle musique, je dirais que c’est le silence. Mais quand Bébitte [NDLR Joséphine Bacon] m’a dit : Le Maudit silence que j’ai écrit, c’était vraiment un maudit silence, et quand il devient un silence maudit, il faut qu’il parle. C’est ça, le Maudit silence. À la croisée des silences, c’est toute l’absence, c’est toute la peur de parler. C’est le bâillon dans la bouche. C’est ça, le silence! Et en même temps, quand on se promène en forêt, sur la grève au bord du fleuve, le silence est guérisseur, il est réparateur. Donc, c’est cette dualité dans le mot qui me fait chavirer. En fait, c’est Bébitte qui a donné le titre à l’album, avec son poème sur les femmes autochtones assassinées. Quand elle m’a lu le poème, parce que Bébitte est sur chacun de mes albums, j’ai dit : C’est le titre de l’album, est-ce que t’acceptes? Et elle m’a dit oui.