Le Quotidien, Arts
Marc-Antoine Côté. — Mardi, 11 avril 2023
Chloé Sainte-Marie et ce Maudit Silence qui en dit long
Armée de chanson et de poésie, Chloé Sainte-Marie est partie à la reconquête de son histoire, dont les racines relient les trois Amériques, avec son dernier album. Le Maudit Silence qu’elle amènera coup sur coup à Saint-Prime, Alma et Jonquière, cette semaine, c’est celui d’un récit travesti, à re-raconter et réapprendre, en 14 langues latines, créoles et autochtones.
Avant cette grande tournée à travers le Québec et avant le lancement de l’album l’automne dernier, il y a eu un autre voyage. Dans le temps, jusqu’en 1701, pour feuilleter les premières pages de notre histoire. Puis à travers le monde, de Santiago jusqu’à l’île Navarino, en passant par Valparaiso et Puerto Montt, pour marcher dans les traces de « nos frères, qui sont les Selk’nam, les Mapuches, les Guaranis ».
Chloé Sainte-Marie a passé six ans à chercher les mots de Maudit Silence. Un travail colossal, qui se découvre aujourd’hui à travers un livre de 127 pages et deux disques totalisant 27 pistes. On y trouve des chansons, évidemment, mais aussi des poèmes, chantés ou récités en innu, quechua, espagnol, français, créole canadien, créole haïtien, guarani, mapuche-mapuzungun. On y découvre aussi les textes de géants comme Jack Kerouac, Louis Riel, Mathias Carvalho, Nancy Huston et Joséphine Bacon.
« J’ai eu un choc de découvrir toute l’histoire qui me constitue, qui nous constitue, et qui ne m’avait pas été enseignée. […] Pour comprendre le présent et mieux voir l’avenir, il faut un peu savoir son histoire, et moi je ne la savais pas », avoue l’artiste, citant le génocide autochtone et le rôle crucial de Louis Riel, entre autres oublis, dans son enseignement reçu à l’école.
Une rencontre marquante
C'est la rencontre avec l’écrivain et géographe Jean Morisset qui a été l'élément déclencheur de cet album, explique Chloé Sainte-Marie.
ARCHIVES LA PRESSE, MARTIN TREMBLAY
C’est un certain Jean Morisset qui lui a d’abord ouvert les yeux, à travers les pages de son livre Sur la piste du Canada errant. Puis sa rencontre avec l’écrivain et géographe, avec qui elle a fini par créer l’album, a tout changé.
« Après, on a le goût de donner la bonne nouvelle, de transmettre une possible vision de nous-mêmes qui n’est pas ce qu’on a appris, qui a été travestie, tronquée. […] On comprend que toute la grande famille canadienne qui est enterrée sous les États-Unis, Jack Kerouac, c’est nous. »
Tout a commencé par Kondiaronk Kondiaronk, hommage en chanson au chef huron du même nom et artisan du traité de la Grande Paix de Montréal, en 1701. « Puis après, ce n’était comme pu arrêtable », laisse tomber Chloé Sainte-Marie, qui avait pourtant le « cordon ombilical assez fort branché avec la France » au préalable, pour y avoir longtemps travaillé.
Une fois ce premier pas fait vers l’avant, le projet a voyagé, s’est précisé, jusqu’à se concrétiser, sous la musique du compositeur Yves Desrosiers.
De petits morceaux de voyage
Chanté en bonne partie par Chloé Sainte-Marie, l’album contient aussi de petits morceaux de son grand périple. Comme ce poème récité en maya par Mateo Pablo, l’un des derniers survivants du massacre du village de Petanac au Guatemala, en 1982. Ou encore cette simple comptine, Il était un petit navire, qui devient lourde de sens lorsque fredonnée par Rhoda Ungalaq, d’origine inuite.
« C’est magistral. Ça nous transperce. C’est tous les conquistadors, les bateaux qui sont arrivés au début de la colonisation et qui ont détruit ces peuples, et elle qui finit par : il était un petit navire, qui n’avait jamais navigué. C’est fort. »
— Chloé Sainte-Marie
La chanteuse souhaitait donner la chance au public d’entendre toutes ces langues, parfois fragiles, voire disparues, et tous ces gens qui les parlent ou les chantent encore. C’est dans cet esprit que plusieurs autres voix se sont greffées à Maudit Silence, dont celles de Joséphine Bacon, Cindy Belotte, Fiorella Boucher, Gladys, Nhenety Kariri-Xocó, Lola Kiepja, Christian Laveau, Ariel Loussant, James Noël, Necul Painemal Morales et Wara.
Une grande virée
Tout ce beau monde ne se retrouve évidemment pas sur scène, au courant de la tournée. Mais Chloé Sainte-Marie y est tout de même bien entourée. Il y a notamment à ses côtés Yves Desrosiers, créateur de toute la musique sur l’album, ainsi que les musiciens Guillaume Bourque et Catherine Le Saunier. Et parce que ce n’était pas chose simple de transformer en spectacle une si grande œuvre, deux metteurs en scène - Philippe Cyr et Émilie Monnet -, ont aidé à y donner forme.
Jamais Chloé Sainte-Marie n’aura par ailleurs effectué une si grande virée que cette semaine au Saguenay-Lac-Saint-Jean, étant de passage jeudi au Vieux Couvent de Saint-Prime, vendredi à la Boîte à bleuets d’Alma, et samedi au Côté-Cour de Jonquière.
Elle en profitera peut-être pour s’arrêter dans l’une des Maisons Gilles-Carle de la région, la porte-parole et fondatrice de la fondation rappelant le besoin grandissant auquel ce service vient répondre auprès des proches aidants. Bien placée pour comprendre, ayant pris soin pendant 17 ans de son défunt conjoint, Gilles Carle, elle incite les personnes aidantes à demander de l’aide, avant de s’essouffler.