Le Devoir, Culture - Musique
Yves Bernard — Vendredi, 13 février 2015
Chloé Sainte-Mari
Une étoile sous les bouleaux
Photo: Michaël Monnier - Le Devoir
Chloé Sainte-Marie
Les bouleaux y étaient, jeudi soir, suspendus par-dessus la scène de la Cinquième Salle de la Place des Arts, où Chloé Sainte-Marie rendait hommage aux poètes du disque À la croisée des silences et plus encore. Elle irradiait, même dans le noir du début de la soirée, alors qu'elle a amorcé le concert-récital avec quelques poèmes récités tout doucement. Car le spectacle renferme une quarantaine de textes, dont plusieurs sont déclamés. Ceux-là ne font pas nécessairement partie du plus récent disque, contrairement aux chansons qui sont superbement, discrètement ou passionnément habillées par le directeur musical Réjean Bouchard et son complice Gilles Tessier, qui joue aussi bien les cordes que le synthé et les tambours. La mise en scène est de Philippe Cyr et la mise en musique est signée par Yves Desrosiers et Sylvie Paquette.
Chloé chante Lassitude et le concert est véritablement lancé : « Je ne suis plus de ceux qui donnent, mais de ceux-là qu'il faut guérir. » Sur ces mots d'Hector de Saint-Denys Garneau, on décèle un moment autobiographique de la part de celle qui a souffert le deuil pendant cinq ans avant d'offrir sa dernière création. Mais ce n'est là qu'une parcelle du spectacle et l'interprète se relance sur les grondements d'un tambour battant. Ici, c'est le coeur qui bat, là, ce sera la nature qui s'anime ou le paysage qui est à refaire.
Sainte-Marie interprète Fernand Ouellette, Roland Giguère, Madeleine Gagnon, Serge Bouchard, Joséphine Bacon, Paul Chamberland, Nicole Brossard, Louise Dupré, Paul-Marie Lapointe, Anne Hébert, Charles Binamé, Jean-Paul Daoust et quelques autres, dont Philippe Mackenzie, le Félix innu. Dans cette langue, elle s'adresse à nous comme si on la comprenait. Et on la comprenait. Dans les mots de Claude Gauveau, elle joue comme au théâtre, en français ou en exploréen. Avec ceux de Patrice Desbiens, elle s'assoit pour faire sortir les mots « cochons ». Elle devient drôle.
Si le reste du temps est marqué par sa grande sensibilité et sa délicatesse, elle sait s'adapter aux poèmes, leur rendre justice, simplement, en surfant sur la violence d'un rythme qui s'anime, en pénétrant le folk des guitares ou en voyageant avec les sonorités planantes. Elle fait alors briller les étoiles, même lorsqu'elle regarde sa propre mort. Elle paraît chanter en latin, le folk devient sauvage, mais la profondeur de l'émotion rappelle quasiment la liturgie.
À un moment, un choeur d'une quarantaine de personnes apparaît, presque irréel, debout dans les rangées sur les côtés. La salle n'est pas complètement remplie, mais avec les chanteurs, rien n'y paraît. « Larguez les amours. Pas dessus bord les faux troubadours », chante-t-on. Plus tard, la chorale répondra à la soliste, puis se déploiera davantage vers la fin. Lors d'une pièce, l'existence deviendra plus vaste : « J'ai des frères à l'infini. J'ai des soeurs à l'infini. Et je suis mon père et ma mère. » Ici, Pierre-Marie Lapointe revit et se multiplie.
Chloé Sainte-Marie parle peu et sait se faire pudique, mais peut aussi devenir plus agressive, passionnée, éclatée. Elle n'est pas qu'un filet de voix et peut parfois s'adapter à des climats plus éclatés, libres comme des textes de Gauvreau. Elle loue la nature, parle à un arbre et se rappelle, comme les bouleaux qui semblent veiller sur elle. Ses derniers mots seront sans doute pour Gilles Carle : « T'extraire de la mort. Pour enfin t'auréoler. » Elle le chantera encore et encore, jusqu'aux applaudissements nourris des spectateurs qui en ont redemandé. À la fin, elle courrait sur la scène comme une petite fille ravie. Pendant plus d'une heure et demie, elle a livré l'un des plus beaux gestes d'amour à la poésie québécoise. Elle poursuit sa série de spectacles à la Cinquième Salle jusqu'au 14 février. Trois jours plus tard, elle se produit au Grand Théâtre de Québec.