Le Droit, Musique
Valérie Lessard — Mercredi, 7 décembre 2016
La poésie comme souffle de vie
Chloé Ste-Marie est aujourd'hui en paix avec plusieurs éléments de sa vie.
ARCHIVES LA PRESSE
Les poètes dont elle a fait siennes les paroles ont «affranchi» Chloé Sainte-Marie. En lui donnant «pleine conscience de ce qu'est aujourd'hui». Pour le monde qui l'entoure, mais aussi pour elle.
«Ce constat clair d'où on est rendus collectivement, d'où je suis rendue, moi, m'aide à vivre», soutient-elle.
Ils l'ont assurément aidée à faire le deuil de son amant et compagnon de vie Gilles Carle, à la suite de son décès en 2009.
Ils lui permettent maintenant de faire la paix avec son père, avec qui elle avait pourtant coupé les ponts à 18 ans, lorsqu'elle a quitté les siens et carrément changé de nom pour Chloé Sainte-Marie en devenant la muse du cinéaste originaire de la Haute-Gatineau.
«Grâce au texte de Marie-Ève Blanchard, Sur les murs, j'ai été capable de traverser de l'autre côté du miroir, récemment. Ç'a m'a permis de comprendre que mon père n'avait pas tous les torts que je lui ai pourtant si longtemps fait porter... La lignée de ma famille ne commençait pas avec lui: mon père portait un héritage, comme j'en porte un moi aussi. Je n'avais jamais pensé à ça, avant...», confie Chloé Sainte-Marie.
Quand on lui demande si elle croit qu'il lui aura fallu se libérer de la douleur de perdre Gilles Carle pour parvenir à comprendre tout ça, elle marque un temps d'arrêt.
«Est-ce que ça prenait la mort de Gilles pour que j'arrive, sept ans plus tard, à prendre le recul nécessaire pour renouer et réfléchir à mes racines? Wow... je n'avais jamais pensé à ça non plus...», confie-t-elle.
«Mais c'est vrai qu'en épousant Gilles, son génie, son imaginaire, j'avais renié mes racines, reprend-elle après une courte pause. Alors peut-être que son départ m'a bel et bien permis de repenser à ma lignée.»
L'amour des mots en héritage paternel
Et de constater que son père, bien qu'«intoxiqué à la bible», lui a malgré tout transmis son amour pour la lecture.
«J'ai hérité de son mal de vivre, d'une certaine rage qui m'habite encore, mais j'ai également reçu de lui ce que j'aime le plus au monde: la passion des mots. Contrairement à ce que j'ai voulu croire, cette passion ne me vient pas juste de Gilles», évoque-t-elle.
L'artiste s'arrêtera à Ottawa, samedi, pour présenter le spectacle découlant de son disque-recueil À la croisée des silences, lancé fin 2014.
Dans le Studio du Centre national des arts qui prendra des airs de forêt à explorer, de territoire intime et collectif à apprivoiser, Chloé Sainte-Marie chantera Claude Gauvreau, Joséphine Bacon, Fernand Ouellette, Hector de Saint-Denys-Garneau, tout comme Charles Binamé, Serge Bouchard, Jean-Paul Daoust... Pour ce faire, elle sera entourée de ses musiciens et complices des premières heures, Réjean Bouchard et Gilles Tessier.
«Je le sens comme la migration des oies blanches, ce spectacle. Il se vit comme un aller-retour entre les mots et moi, entre les mots et les gens.»
Question de territoire
Après avoir travaillé avec des metteurs en scène de la trempe des Brigitte Haentjens et Paul Buissonneau sur ses précédents spectacles, Chloé Sainte-Marie a eu cette envie de faire souffler un vent de jeunesse sur sa manière d'incarner les mots de ses poètes préférés. L'interprète s'est ainsi tournée vers Philippe Cyr, «32 ans tout juste, mais de la même graine que Paul et Brigitte, quand vient le temps de penser l'espace et la parole».
Ensemble, ils ont puisé à la source des textes de Gauvreau et Giguère, entre autres pour ancrer leurs langues (Chloé Sainte-Marie chante autant en français qu'en «exploréen», en innu, en créole et en latin) dans l'idée de terre et de territoire.
«J'ai voulu faire ressortir la force et la beauté des mots des poètes, le plaisir qu'ils me procurent. Mais ce plaisir n'est pas que cérébral, il est aussi physique, par leur texture, la manière qu'ils ont de me passer à travers le corps, explique la chanteuse. Leur son est aussi important que leur sens.»
À la croisée des silences a mené Chloé Sainte-Marie à la croisée des chemins. «L'album et le spectacle m'ont donné la force de passer à travers la présence de l'absence de Gilles, comme le dit si bien Fernand Ouellette, justement...»
Ils l'ont aussi guidée vers la suite des choses: un prochain album s'est «imposé», et il est déjà en création. C'est sans compter que son actuelle tournée se poursuivra pour encore au moins un an de ce côté-ci de l'Atlantique, et pourrait également la faire migrer quelque temps en France.
«On m'a récemment proposé d'aller faire un tour là-bas. C'est beau que les mots de nos poètes voyagent ainsi, non?», soulève-t-elle, du ton enjoué de celle qui continue de déployer ses ailes portée par la puissance de cette parole qu'elle chante tel un souffle de vie.
POUR Y ALLER
Le 10 décembre, 20h - Centre national des arts
Billetterie du CNA, 613-947-7000; 1-888-991-2787, ticketmaster.ca