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Journal de Montréal, Livres

Karine Vilder — Samedi, 1er octobre 2022

Chloé Sainte-Marie, lire et se laisser lire


Photo Martin Alarie

Dès le 12 octobre prochain on pourra découvrir Maudit Silence, le tout nouveau livre-disque de Chloé Sainte-Marie. Mais juste avant, on peut aussi découvrir ses livres coups de cœur.

Récemment, est-ce qu’il y a un livre qui a réussi à vous bouleverser?

Sur la piste du Canada errant de Jean Morisset, qui a inspiré et accompagné mon dernier album. C’est le livre d’un géographe qui m’a fait voir pour la première fois toute la grande famille canadienne canayenne enterrée sous les États-Unis. Et partout ailleurs dans le cours des Amériques sous la grandeur des Peuples premiers qui leur ont tous sauvé la vie. J’y ai découvert mon propre cousin Laramée-Laramie qui a donné son nom au célèbre Fort Laramie entre le Wyoming et le Wisconsin. 

J’en suis sortie bouleversée. Pourquoi nous avoir tellement cachés à nous-mêmes?


Dans votre vie, quels livres ont été très importants pour vous?

  • La Bible. J’appartiens à une famille protestante. J’ai été élevée avec des versets de Bible marchant-chantant à mes côtés.
  • Puis dernièrement, Cantique des plaines de Nancy Huston où l’amour d’une Autochtone enlève la sécheresse d’un vieil homme de la prairie. 
  • La vie est d’hommage de Jack Kerouac, chef-d’œuvre unique dans l’écriture créole des Canadiens.
  • Cent poèmes d’Aimé Césaire est arrivé sur la pointe des pieds. J’en fais la lecture avec des larmes de joie au cœur.

Quel a été votre dernier gros coup de cœur, côté roman?

Le livre Mémoires – Carnets d’un moine errant de Matthieu Ricard, que j’aborde comme un roman. Il est toujours sur ma table de chevet et je le lis un peu comme une Bible : un petit peu à la fois. Matthieu Ricard est un être universel, en dehors des langues, qui aborde la vie d’une façon organique, et il m’équilibre.


Et au cours de ces dernières années, vous avez eu d’autres vrais coups de cœur?

Pieds nus sur la terre sacrée de Teresa Carolyn McLuhan, que j’ai parcouru sur les hauteurs et depuis ma savane de l’île Verte et toute revêtue de ma peau comme guide de lecture.

Comme second titre, je me suis laissé lire en toute liberté par les tufs rouges et les crans polis ou dentelés des grèves insulaires. On dit que les Peuples premiers sont analphabètes et illiterates. Entièrement faux. C’est nous qui sommes devenus les analphabètes de la terre, de l’arbre et du caillou dont je ne saurais me passer comme livres-nutriments à toute heure.


Que lisez-vous en ce moment?

Je lis en boucle les trois derniers livres de Dalie Giroux qui me font un bien immense. Le Québec brûle en enfer, L’œil du maître, Parler en Amérique : oralité, colonialisme, territoire... et je viens d’attraper son tout dernier, un collectif, Parler avec les animaux.

Je suis une chanteuse de la poésie et du parler et voilà que je découvre en Dalie Giroux la quête viscérale d’une couche de parler en profondeur. Un créole sans nom, que tous les nés d’Amérique possèdent, inavoué, dans leur giron. En particulier le Québec en proie avec un langage autant créatif que caché, autant profondément original que combattu et vilipendé.

Le parler québécois est comme une couleur de peau qu’il faut absolument teindre. Dalie Giroux est là pour le célébrer, et le son et sa couleur. 


Est-ce qu’il y a un grand classique que vous avez particulièrement aimé?

Oui. Belle du Seigneur d’Albert Cohen. C’était tout au début de ma carrière de comédienne et chanteuse, et je suis restée imprégnée du Seigneur pour ma vie durant.


Si tout était possible, à quel écrivain demanderiez-vous d’écrire les paroles d’une prochaine chanson?

À James Noël. Son livre publié chez Points, Le pyromane adolescent suivi de Le sang visible du vitrier m’a bouleversée. Le poème en page 125, Le crime aveugle, est troublant.


Avec quel livre avez-vous envie de terminer cet entretien?

Bâtons à message – Tshissinuashtakana de Joséphine Bacon. Je vous confie un secret. Prenez un recueil de Joséphine entre vos deux paumes et pressez légèrement, vous aurez un canot pour en faire lecture. Et reprenez le même recueil en le pressant un peu plus et vous aurez un cométique pour lecture hivernale.

La poésie de Joséphine Bacon est l’un des plus beaux cadeaux que le Québec ait reçus de tous les dieux-manitous afin de combler ses oublis.

La répétition et la mémorisation des poèmes et textes de mon prochain spectacle Maudit Silence – titre offert en cadeau par Joséphine Bacon – amènent à la fois mon corps et mon esprit à se laisser imprégner et pénétrer conjointement par l’écriture du territoire.

C’est que je marche beaucoup en forêt. Tous les jours. Et quand je rate une journée ou deux de lecture forestière, l’esprit de mon corps se révolte et j’ai mal.

En tournée. À partir du 20 octobre, Chloé Sainte-Marie va présenter Maudit Silence en spectacle un peu partout au Québec. Pour en savoir plus sur les dates de spectacle, visitez chloesaintemarie.com

[Source]